L'impact des écrans sur les apprentissages scolaires

Écrans et apprentissages sociaux : ce qui se joue dans la cour de récré

 

 

Dans beaucoup de familles, les écrans ont pris une place tranquille mais massive : dessins animés pour calmer, vidéos à table “juste pour ce soir”, jeux en ligne avec les copains, réseaux sociaux pour les plus grands…
À l’école, les enseignant·es voient arriver des élèves qui gèrent moins bien les conflits, ont plus de mal à “entrer en contact” avec les autres, ou semblent perdus dès qu’il faut coopérer.

 

 

Cet article ne vise pas à diaboliser les écrans ni à poser un diagnostic : il donne des repères simples pour comprendre ce que l’usage numérique change dans les apprentissages sociaux des enfants, et des pistes concrètes pour rééquilibrer les choses à la maison et à l’école.

Les compétences sociales s’apprennent… en face à face

 

Apprendre à écrire demande des répétitions. Apprendre à vivre avec les autres aussi.

 

Pour développer ses compétences sociales, l’enfant a besoin de situations très “ordinaires” :

  • Observer un visage qui change d’expression.
  • Attendre son tour de parole.
  • Supporter un “non” sans exploser.
  • Réparer un conflit après s’être fâché.

Tout cela se construit dans le jeu libre, les discussions de couloir, les chamailleries, les réconciliations. Ce sont ces milliers de micro-interactions qui permettent de décoder les signaux non verbaux, de développer l’empathie et d’affiner la communication.

 

Quand le temps d’écran augmente, ce n’est pas simplement “le cerveau devant une lumière bleue” : ce sont surtout des occasions relationnelles en moins.

Quand l’écran prend la place du groupe

 

Les recherches montrent qu’un temps d’écran excessif est associé :

  • à plus de troubles du comportement,
  • à une plus grande difficulté à socialiser,
  • à des problèmes pour gérer les conflits et revenir au calme après une dispute.

 

Les directions d’école rapportent des élèves qui :

  • ont du mal à entrer en contact les uns avec les autres,
  • se replient plus facilement,
  • se mettent vite en tension dans les interactions.

 

Ce n’est pas que les écrans “cassent” les compétences sociales comme un interrupteur. Le mécanisme est plus simple et plus sournois :

Substitution : le temps passé devant l’écran remplace du temps de jeu partagé, de discussion, d’ennui créatif.

Technoférence : quand les parents ont eux-mêmes la tête dans leur téléphone, la qualité des échanges diminue (moins de regards, moins de réponses fines, plus de micro-interruptions).

Culture du zapping : formats très courts, gratification instantanée, pas besoin de réparer une relation après un conflit en ligne, il suffit de changer de fil ou de chat.

 

À force, certains enfants arrivent à l’école moins entraînés socialement : ils n’ont pas eu assez de “terrain” pour muscler ces compétences-là.

 

 

Ce que l’on peut observer en classe (ou en cabinet)

 

Sans faire de diagnostic sauvage, quelques signes peuvent alerter :

 

En maternelle :

  • l’enfant reste à l’écart des jeux à plusieurs,
  • il préfère les activités solitaires,
  • les conflits dégénèrent vite (morsures, cris, coups) dès qu’il y a frustration.

 

En élémentaire :

  • les conversations tournent surtout autour des vidéos, jeux ou influenceurs,
  • l’enfant a du mal à raconter sa journée ou ce qu’il a ressenti,
  • il s’isole à la récré ou, à l’inverse, cherche la surenchère (provocations, chahut).

 

En séance de graphopédagogie :

  • besoin de “pause” pour tenir la séance,
  • difficulté à regarder l’adulte, à suivre un feed-back,
  • intolérance plus forte à la frustration (“j’y arrive pas, j’arrête”).

 

Ces signes ne “prouvent” pas que l’écran est la cause unique. Mais quand ils s’ajoutent à un usage quotidien important, ils indiquent que les apprentissages sociaux ont besoin d’être retissés.

 

Écrans, émotions et estime de soi

 

Les études retrouvent une corrélation nette entre surexposition aux écrans et :

  • troubles émotionnels,
  • baisse de l’estime de soi,
  • symptômes d’anxiété et de dépression.

 

Ce lien est particulièrement marqué chez les jeunes déjà vulnérables, pour qui les réseaux sociaux peuvent agir comme un amplificateur de mal-être : comparaison permanente, peur de manquer quelque chose, cyberharcèlement…

 

 

Et quand l’estime de soi est fragile, les compétences sociales en pâtissent :

  • soit l’enfant s’efface,
  • soit il se protège par l’agressivité,
  • soit il se réfugie encore plus dans le numérique.

L’écran n’est pas “le méchant” :
tout dépend de l’âge, du contenu et du contexte

 

Un point important de la recherche : le “temps d’écran” brut ne suffit pas à décrire le problème.

 

Ce qui compte vraiment :

  • l’âge de l’enfant,
  • le type de contenu,
  • le contexte d’usage (seul, avec un adulte, en interaction ou en passif).

 

Les grandes instances d’expertise convergent vers quelques repères (à adapter au contexte de chaque famille) :

 

Avant 3 ans : pas d’écran “en fond sonore”, éviter les usages passifs. L’enfant a surtout besoin de corps, de voix, d’objets réels.

 

Entre 3 et 6 ans : petits temps d’écran courts, accompagnés, pas tous les jours ; aucun écran au moment des repas ni avant le coucher.

 

De 6 à 11 ans : limiter les loisirs sur écran à moins de 2 heures par jour ; privilégier les contenus interactifs (création, jeux de stratégie, recherches) plutôt que le défilement passif. Pas de téléphone personnel avant 11 ans.

 

De 12 à 15 ans : garder un équilibre avec le travail scolaire, les activités physiques et la vie sociale réelle ; prudence forte sur les réseaux sociaux (risque de cyberharcèlement, contenus violents/pornographiques).

 

Après 15 ans : autonomie croissante, mais dialogue maintenu et vigilance sur les usages problématiques (sommeil, isolement, humeur).

 

L’idée n’est donc pas “tout interdire” ou “tout autoriser”, mais qualifier ce que l’enfant fait réellement avec l’écran… et ce que l’écran remplace.

Pistes concrètes en famille


1. Instaurer des temps et des lieux “sans écran”

Quelques repères simples, tenables dans la durée :

  • pas d’écran pendant les repas,
  • pas d’écran dans la chambre, surtout le soir,
  • pas d’écran dans l’heure qui précède le coucher (le sommeil est un allié majeur des apprentissages… et des compétences sociales).

 

Ces zones “blanches” redonnent naturellement de la place à la parole, aux regards, au jeu partagé.

 

 

2. Sortir du réflexe “on lui met un écran pour le calmer”

 

Utiliser systématiquement l’écran pour calmer un enfant en bas âge l’empêche de développer ses propres stratégies internes d’autorégulation : attendre, respirer, demander de l’aide, se consoler autrement.

 

À la place, on peut :

  • installer un rituel de respiration ou de bercement,
  • proposer un coin calme avec quelques objets transitionnels,
  • verbaliser l’émotion (“tu es très en colère, on va laisser ton corps se calmer”).

L’écran peut rester un joker occasionnel, mais pas l’outil principal de gestion émotionnelle.

 

 

3. Co-regarder, co-parler

 

Quand l’enfant utilise un écran :

  • s’asseoir à côté de temps en temps,
  • demander : “raconte-moi”, “qu’est-ce que tu aimes dans cette vidéo/ce jeu ?”,
  • commenter les situations sociales (“là, il se moque de son copain, tu penses que ça lui fait quoi ?”).

Les échanges verbaux autour des contenus numériques sont identifiés comme un facteur protecteur, y compris pour le langage.

 

 

4. Nourrir la vie sociale… hors écran

 

Ce n’est pas l’interdiction qui développe les compétences sociales, c’est l’offre d’occasions réelles :

  • inviter un copain ou une copine à la maison,
  • proposer des jeux de société (attendre, coopérer, perdre),
  • cuisiner ensemble, bricoler, jardiner,
  • laisser de vraies plages d’ennui (l’ennui, c’est souvent le début de l’invention d’un jeu à plusieurs…).

En classe et en séance d’écriture : retisser le lien social

 

Pour les enseignant·es et les parents, il ne s’agit pas seulement de “limiter les écrans”, mais d’utiliser la séance comme terrain d’entraînement social.

 

Voici quelques  leviers :

  • Rituels d’accueil : nommer les émotions du jour, tours de parole courts, salutations ritualisées.
  • Travail en binômes ou petits groupes autour de l’écrit : un enfant dicte, l’autre écrit.
  • copie collaborative.
  • relecture croisée d’un petit texte.
  • Verbalisation guidée : apprendre à dire “je ne suis pas d’accord parce que…”, “je préfère…”, plutôt que de passer directement au conflit ou au retrait.

Les outils numériques peuvent aussi devenir alliés, s’ils sont ciblés :

  • application de graphomotricité sur tablette avec stylet, utilisée en séance, sous supervision,
  • outils collaboratifs pour écrire à plusieurs un texte destiné à un vrai lecteur (journal de classe, blog encadré, courrier collectif).

 

Ce n’est pas l’écran en soi qui pose problème, mais l’absence de cadre et d’intention pédagogique.